Aujourd’hui, le chamanisme est devenu une sorte de philosophie personnelle que l’on plaque sur des pratiques et des connaissances venues du fond des âges.
Nous avons perdu 70 % du vivant en quarante ans, nous risquons de perdre le chamanisme tout aussi vite. Pas parce qu’il est « traditionnel » et qu’il serait obligatoire de le garder comme tel. Non. Mais parce qu’il est naturel, intemporel et non civilisé. Parce que c’est la Force sauvage qui doit couler en lui. Par définition, il n’est pas possible de fabriquer un chamanisme génétiquement modifié. Le Mythe créateur, le Grand Mystère, le Temps du Rêve et la Force sauvage ne seront jamais domestiqués. Aujourd’hui, les Esprits nous poussent à replanter en nous les graines sauvages de l’homo sapiens. C’est une erreur anthropocentrique que de prendre l’inconscient collectif pour le Temps du Rêve. Il est tellement plus que cela. L’humain n’est qu’un épiphénomène dans l’univers. Le chamanisme, c’est changer notre relation au monde, et pas changer le chamanisme pour qu’il s’adapte à la vision du monde civilisé. C’est un changement de regard, pas un travail. Travailler sur soi, mais pour produire quoi ? La Nature ne travaille pas et ne produit rien. Elle vit, elle est, elle pourvoit, elle échange. La racine du mot « nature », c’est donner naissance, naître. Alors, naissons à nous-mêmes, et ne soyons plus les besogneux de notre « moi ». Le moderne prend sa source dans le développement d’une histoire linéaire. Le moderne n’a aucun pouvoir. L’arbre dans le jardin, l’oiseau qui passe devant mes yeux, sont-ils modernes ou anciens ? Les Esprits sont-ils modernes ou anciens ? L’Esprit du vent ou de l’océan, est-il moderne ou ancien ? D’ailleurs, beaucoup d’Esprits ont décidé de quitter le monde moderne. Est-ce qu’un chamanisme moderne a du sens ? Il nous est impossible de communiquer avec les Esprits si nous sommes prisonniers de l’espace-temps. Bien évidemment, les pratiques chamaniques s’adaptent à leurs époques, elles l’ont toujours fait et il est naturel que cela se fasse aujourd’hui. Le chamanisme ne fait pas que s’adapter à son époque, il suit avant tout les rythmes de l’incarnation de la Terre Mère. Simplement attention à ne pas reproduire avec le chamanisme ce qu’il s’est produit avec l’agriculture. Dans son idée de produire plus en donnant en échange du poison à la terre, dans son idée de se moderniser pour s’adapter à son époque, l’agriculture a complètement oublié que la terre n’a pas besoin de modernisme pour être fertile. Masanobu Fukuoka, le penseur et fondateur de la permaculture, s’en est parfaitement rendu compte. Son idée est simple. Faire confiance à la Force sauvage et à Pachamama. Parce qu’il a vu que nous avions une fois de plus été trop loin. Son livre fondateur, il l’a intitulé La Révolution d’un seul brin de paille. En Occident, nous allons trop loin dans la soi-disant adaptation du chamanisme. Nous devons nous aussi faire notre révolution d’un seul brin de paille. Ou le chamanisme disparaîtra. Pas le nom mais l’essence. Il en restera une façade bien propre. C’est exactement ce qui se passe avec l’agriculture. Des champs bien propres sans un seul coquelicot. Le nom d’agriculture perdure mais peu en ont gardé l’essence. Et entamer le mouvement inverse est long et difficile. Certains ont le courage de s’y employer, alors en plus d’acheter leurs produits, nous pouvons leur rendre hommage dans nos cérémonies. Le développement personnel, quant à lui, est parfait pour le monde civilisé. Il n’est pas question pour ma part de le remettre en cause. Je parle de « choix ». Le développement personnel, comme les religions monothéistes, ne s’occupe que de l’humain. La Nature ne fait pas partie et n’a jamais fait partie de ces religions. Une branche de la science suit exactement le même chemin. Le chamanisme part au contraire de la Nature. La recherche fondamentale part elle aussi de la Nature. Vouloir créer un chamanisme qui prend comme point de départ l’humain, c’est passer à côté de l’Origine. C’est un mythe dans son acception moderne, un simple discours qui n’a plus de lien avec le mythe. Effacer la vie sauvage, c’est effacer la référence, notre référence. La vie est le cadeau du monde sauvage. Effacer la référence, et tout devient privatisable. L’eau, les graines, l’humain, tout est domesticable avec la disparition du monde sauvage. Il faut y réfléchir à deux fois avant de souhaiter un chamanisme moderne. Nous vivons dans une société qui travaille et qui produit comme jamais auparavant. Et pourtant nous vivons dans une société sans réponse pour les générations futures.
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AuteurJean Yves Archives |